homélies et autres réflexions
10 Septembre 2017
Lorsque j’ai lu ce passage d’évangile que la liturgie nous donne aujourd’hui j’ai eu la curiosité d’aller voir quel passage, dans l’évangile selon Matthieu, précède celui que nous venons d’entendre et le passage qui le précède est celui de la « brebis égarée. » Nous sommes donc dans une dynamique de « prendre soin » de l’autre. Nous sommes dans cette dynamique dont nous a parlé Paul où « l’amour ne fait rien de mal au prochain. » Mais comment alors vivre cette exigence de la « correction fraternelle » sans faire du mal à quelqu’un ? Nous pouvons bien imaginer que « dire à l’autre » quelque chose qu’il a faite et qui nous a fait du mal peut le blesser, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit : « si ton frère a commis un péché contre toi va lui faire des reproches seul à seul. » Mais d’après tout, si l’autre m’a fait du mal, j’ai bien le droit, moi, de me défendre et de lui dire les choses quitte à lui faire du mal à mon tour ! Et c’est là où tout bascule ! Le Christ ne nous invite pas à régler nos comptes, comme on peut faire parfois. Mais il nous demande de « prendre soin » car nous sommes responsables les uns des autres.
Faire des reproches ici ce n’est pas synonyme d’accuser, comme nous pouvons être tentés de penser. Ce n’est pas non plus synonyme de jugement tel que nous entendons aujourd’hui. Ici, faire des reproches c’est surtout « amener avec conviction vers la lumière ! » Et la lumière pour nous est le Christ ! La correction fraternelle n’est pas un passe-temps auquel nous pouvons nous adonner pour « régler » les comptes avec quelqu’un, mais c’est le lieu où, ensemble, nous avançons vers le Christ. D’ailleurs, il nous donne bien la « méthode » : d’abord seul à seul ensuite, si cela ne marche pas, avec des témoins et en dernier recours devant la Communauté.
Et notre relation a une influence sur la communauté. D’où la nécessité de prendre le chemin vers la Lumière du Christ. Mais le prendre ensemble. Prendre soin de l’autre, c’est alors prendre soin de la Communauté. Et comme nous voyons dans ce passage, il ne s’agit pas d’accuser l’autre ni de le dénigrer… ce n’est pas du commérage ni de la méchanceté. Ce n’est pas pointer l’autre du doigt pour dire son erreur, mais c’est savoir et avoir la capacité de lui montrer notre propre cœur blessé pour qu’ensemble nous puissions reprendre le chemin, autrement dit, revenir vers le Christ.
Il y a quelque chose qui m’a touché en méditant sur ce texte : en fait, pour dire à l’autre ce qui nous a blessé cela exige de nous aussi la capacité de lui dévoiler notre propre fragilité, et par la même cela nous exige une certaine simplicité, car si je me laisse toucher par quelqu’un ça veut bien dire que je ne suis pas insensible à ce qu’il représente pour moi et surtout, si ce qu’il fait me blesse, car le péché blesse, cela révèle aussi ma dépendance vis-à-vis de l’autre, autrement dit, avec l’autre, nous faisons partie d’un même corps, nous faisons communauté.
Comme vous l’avez bien entendu, il y a une gradation dans l’action : d’abord « faire des reproches » seul à seul ensuite, si cela ne marche pas, avec des témoins et en dernier recours devant la Communauté. Mais même comme ça, on peut ne pas « gagner » le frère. Quoi faire alors ? Si face à sa responsabilité on reste sur notre « position », parfois il est nécessaire de prendre de la distance. Il ne s’agit pas d’exclure, mais plutôt de laisser l’autre libre et libre, aussi, d’exercer sa liberté de ne pas vouloir la réconciliation. Et parfois ça peut être douloureux. Toutefois, prendre soin de l’autre, c’est aussi savoir prendre ses distances. Cette distance est et doit être comblée par cette prière à laquelle le Christ nous invite dans l’évangile. Se mettre à l’écoute du Christ ! Lorsque les actions se confrontent à la dureté du cœur de l’autre, la prière est alors la seule chose qui peut nous permettre de continuer à prendre soin de lui car nous sommes responsables les uns des autres.
Comment est-ce que je prends soin de ceux qui me sont confiés ? Quel regard je porte sur eux ? Est-ce un regard plein d’espérance ou un regard indifférent ? Est-ce que mon regard l’enferme dans ce qu’il a pu faire ou est-ce que mon regard est capable de s’émerveiller devant ce qu’il est ? Car comme nous, il est, lui aussi plein de qualités mais aussi fragile, comme nous, il est un enfant bien aimé de Dieu. Il ne s’agit pas de tout accepter, ou de relativiser, loin de là, mais il s’agit de vouloir être juste, de savoir parfois attendre, d’être patient… il s’agit de regarder l’autre comme nous avons envie d’être regardés. Et de poser sur lui un regard miséricordieux. Car l’amour, lui, ne fait rien de mal au prochain.
(Ez. 33, 7-9; Psaume 94; Rm. 13, 8-10; Mt. 18, 15-20)