Homélie pour la messe du Jeudi Saint | Année A | 2023

« Que feriez-vous si vous saviez que vous alliez mourir ? » Un ami a commencé ainsi une méditation sur un évangile des derniers moments de Jésus avant sa Passion. Et Jésus, sachant qu’il allait mourir, il a décidé de passer du temps avec ses amis. Un dernier repas. Un dernier échange. Un ultime geste et un nouveau commandement. Beaucoup plus que passer ses derniers moments avec ses amis, Jésus a mis au cœur même de leur vie, le trésor incalculable de la place de la relation. La relation à l’autre, par le don de soi (lavement de pieds) ; la relation à Dieu, par ce geste Eucharistique, qui devient présence réelle, pain pour la route, de Celui qui est le Verbe fait chair !

En prenant du temps avec ses amis, Jésus nous remet au cœur de ce qui est essentiel dans notre vie, dans notre traversée ! Notre vie tout entière est une traversée. Tantôt de déserts, tantôt de terres fertiles. Mais dans toute traversée le Seigneur est là.  Il nous accompagne. Et pour que nous puissions retrouver la force dont nous avons besoin sur le chemin il nous a laissé son propre Corps, sa Parole, de frères et de sœurs… ce soir nous mettons en lumière le Corps, nous le célébrons, nous l’honorons. Le Corps Eucharistique, le Corps mystique. Le Corps du Christ que nous formons. Nous célébrons et honorons ce Corps qui ressent, qui vibre, qui souffre, qui aime, qui se donne. Ce Corps qui ne peut trouver de sens que s’il est enraciné dans l’amour de celui qui « aima jusqu’au bout. »

Nous pourrions attendre que le récit de l’évangile de ce soir porte davantage sur celui de l’institution de l’Eucharistie. « Mais non : dans ce style lent, détaillé, liturgique, Jean nous décrit un lavement de pieds. » (Dom Jean GAILLARD. La Liturgie Pascale) « Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples… » Le maître s’agenouille devant ses disciples. L’Ami se met à laver les pieds de ses amis. L’expression laver les pieds revient sept fois dans le récit. Ce n’est pas un geste anodin. Et par ce geste tout est dit ! C’est prendre soin, c’est se donner vraiment, c’est affronter ses propres peurs, ses angoisses et ses méfiances pour entrer dans le cœur d’une relation dont le fondement est le Christ. Ainsi, « suivre Jésus reviendra toujours à servir, à se donner, à donner même sa propre vie. » (Dom Jean GAILLARD. La Liturgie Pascale)

Si ce soir nous rendons grâces pour la présence du Corps du Christ dans l’Eucharistie, nous rendons grâces aussi pour le Corps du Christ que nous formons. Et ce corps a besoin d’être guérit, purifié, soigné. Parce que chacun de nous, dans notre traversée, a besoin d’être guérit, purifié, soigné… pour donner davantage de fruits ! Ce geste du lavement des pieds que nous allons vivre tout à l’heure n’est pas seulement un rappel de ce geste de Jésus. Il est le rappel de notre propre vocation de baptisé : se savoir appartenir au Christ, se savoir membres d’un seul corps, et se mettre au service. Au service des uns des autres. Au service de l’humanité qui nous est offerte. Ce service qui n’est pas une aide ponctuelle que nous pourrions vivre comme un bénévolat, mais c’est le don de sa propre vie. Jusqu’au bout ! Car la vie ne trouve son sens profond que par le don de soi ! En s’abaissant pour laver les pieds de ses disciples et en leur demandant de faire pareil, Jésus remet au cœur de l’humanité blessée le premier geste de guérison : l’amour du prochain. L’amour exigent et responsabilisant. L’amour qui relève et qui redonne vie, car sa source est le Christ lui-même qui a aimé jusqu’au bout ! Et s’il est allé voir ses amis avant de mourir c’est parce qu’il savait le sens profond de son geste : donner la vie, donner sa vie ! Et nous ressusciter avec lui !