Homélies et autres réflexions
22 Mars 2020
Frères et sœurs,
Nous voilà dans une nouvelle étape de notre pèlerinage de carême. Pèlerinage qui a pris un tournant inattendu avec tous qui se passe en ce moment dans le monde. Nous sommes confinés chez nous. Privés de nos rencontres quotidiennes, de nos habitudes. Nous sommes obligés de nous adapter à un nouveau rythme de vie. Nous devons découvrir la vie autrement. Et dans ce pèlerinage, voilà que la Liturgie nous donne de rencontrer l’aveugle de naissance. Lui, qui a vécu toute sa vie en s’adaptant à sa cécité… a dû apprendre à découvrir la vie autrement, et à redécouvrir le monde et les autres. Et cette découverte passe par la rencontre avec Jésus. Cette rencontre inattendue, pour lui, l’aveugle ! Cette rencontre qui lui a fait découvrir la Lumière. Cette rencontre qui l’a obligé de dire qui était-il. Lui-même, l’homme guéri ; et celui qui l’a guéri.
Nous contemplons, aujourd’hui, la capacité de Jésus de prendre soin, de guérir, de relever, de réveiller ! Et aussi la capacité de l’être humain d’accueillir, de rebondir, de prendre position et d’oser s’affirmer entant que croyant, un croyant qui témoigne ! A partir de cette rencontre qui transforme. A l’image de nos catéchumènes, qui ont rencontré Jésus ! Et qui se laissent transformer par Lui.
L’aveugle, une fois guéri, a dû répondre à un certain nombre de questions. Je m’arrêterai à la première, qui touchait son être profond : qui est-il ? « Ses voisins dirent alors : n’est-ce pas lui qui se tenait là pour mendier ? (…) les autres disaient : pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. Mais lui disait : c’est moi. » Il aurait pu avoir, au moins, deux attitudes différentes : celle de l’indifférence de ce qui venait de se passer, en recevant la grâce comme un dû ; ou celle de l’acceptation et de l’accueil du don reçu. Dans la première attitude, il se dédouanerait de la relation ; dans la deuxième, il serait amené à assumer la relation, par le témoignage. Et c’est bien cela qu’il a choisi ! « C’est moi », répondit-il. Comme pour leur dire, vous ne m’avait regardé qu’à travers le prisme de ce que vous avez décidé ! Le mendiant, l’aveugle ! Mais vous ne reconnaissez même pas mon visage ! La première attitude de cet homme était d’affirmer qui il était ! Et dans cette attitude-là, révéler que son cœur a été scruté par celui qui l’a guéri ! Et qu’il a été touché beaucoup plus profondément que simplement sur ses yeux ! Il a été touché dans son être propre ! Il n’a pas vu le regard que Jésus a posé sur lui. Il a seulement entendu sa voix ! Mais un aveugle est doué d’une sensibilité qui nous dépasse ! Ils ont la capacité de voir avec le cœur ! Et dans ce regard du cœur, ce qui compte, c’est la capacité transformatrice de la rencontre.
Aujourd’hui nous sommes obligés de nous rencontrer. De quitter, peut-être, notre confort quotidien pour apprendre à regarder la vie et l’autre autrement ! Et comme l’aveugle guéri, nous pouvons avoir, au moins, deux attitudes : nous dédouaner de la relation, en étant simplement les uns à côté des autres, où aller à l’essentiel de ce qui fait notre vie et être les uns avec les autres. Profondément, réellement, véritablement ! Ne ratons donc pas la chance qui nous est donnée d’aller à l’essentiel ! Ce que nous vivons aujourd’hui, même si ça peut dépasser notre entendement, nous oblige à aller à l’essentiel. Car cela nous oblige à prendre le temps. Prenons donc le temps de (re)découvrir Jésus. De redécouvrir l’autre et soi-même. Nous laisser scruter, regarder profondément par le Christ pour enlever l’autre (et nous-même) de la « case » dans laquelle, par confort ou ignorance, nous l’avons mis. Relever la tête. Se laisser éclairer par la Christ, que loin de nous enfermer dans nos parts d’ombres, nous fait entrer dans sa Lumière et, devenir à notre tour, lumières. Ne ratons pas l’occasion qui nous est donnée de quitter le sommeil dans lequel nos avons été mis par nos certitudes parfois bien trop étroites et entrons dans la largesse du don du Christ qui nous illumine ! Dans notre traversée du désert, laissons-nous scruter, guérir et transformer par le Christ. Car c’est carême !
Nous ne pouvons pas nous embrasser, ni faire des grandes accolades, ni même nous serrer la main ! Mais nous pouvons plier nos genoux, nous prosterner devant le Seigneur, et humblement reconnaitre qu’il est celui qui traverse avec nous le désert ! Qu’il est notre sauveur ! Et demandons-Lui de nous donner le courage de redécouvrir ce qui fait que l’autre est unique. Le courage de quitter nos cécités qui nous empêchent de considérer l’autre pour ce qu’il est. Le courage de quitter le sommeil de l’indifférence et du jugement !
Dans la maison, là, chez vous, que vous puissiez redécouvrir les uns et les autres. Les enfants, redécouvrez vos parents ! Aidez-les à traverser ce désert qui, certainement, les inquiète! Vos parents ont besoin de vous ! Les parents, redécouvrez vos enfants, avec ce regard de bonté que votre mission de parents vous donne, même quand vous pensez que vous ne l’avez peut-être pas assez ! Qu’ensemble, nous soutenions ceux qui sont seuls, fragiles, isolés. Et que cette traversée du désert soit pour nous tous un temps pour élargir notre cœur, pour changer notre regard, pour enlever la boue qui nous empêche de voir ! Que soit un temps pour faire grandir et mûrir notre belle famille, notre communauté paroissiale ! Et laissons résonner en nous cette parole qui nous est donnée : « Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. » Et tel un berger, il prend soin de chacun de nous ! Il est, avec nous, dans ce pèlerinage ! Alors, en avant !
(1S 16, 1b.6-7.10-13a ; Ps 22 ; Ep 5, 8-14 ; Jn 9, 1-41)