20 Mai 2020
Le mois de mai est à la fois le mois de Marie, dans la tradition populaire, et, en ce moment, nous préparons aussi la fête de la Pentecôte. Nous sommes au cénacle et attendons ensemble la venue de l’Esprit Saint. C’est au cénacle que le Christ a pris son dernier repas avec ses disciples et institué le don de l’Eucharistie. Le don du corps et du sang du Christ réel et substantiellement présents sous les espèces du pain et du vin consacrés. La présence réelle du Christ pour nourrir son corps, qui est l’Eglise.
Et Marie ? Comment peut-elle nous aider à entrer davantage dans ce mystère de l’Eucharistie? Surtout en ce moment où nous sommes nombreux à ne pas pouvoir la recevoir ?
Pour nous y aider, je voudrais que nous prenions une hymne ancienne, qui date du XIVème siècle, et qui est attribuée au pape Innocent VI. Elle était chantée, justement, au moment de l’élévation de l’Eucharistie. Hymne pour lequel Mozart, notamment, au XVIIIème siècle, a écrit un arrangement qui est connu dans le monde entier. Il s’agit du « Ave verum corpus. » Rassurez-vous, nous n’allons pas faire un cours de latin* ! Voici le texte en français :
"Salut, O vrai corps, Né de la Vierge Marie Qui a vraiment souffert et a été immolé Sur la croix pour le salut des hommes Toi dont le côté a été transpercé Et a laissé répandre de l’eau et du sang ; Soit pour nous un avant-goût [de la vie céleste] Dans l’épreuve de la mort."
La richesse théologique du texte est incontestable. Nous y voyons à la fois des sources bibliques, conciliaires, sacramentelles et populaires. C’est une vraie méditation sur le mystère de l’incarnation, sur la présence réelle et la passion du Christ. Qui nous ouvre, à la fin, à l’Espérance de la vie éternelle et de la résurrection. Mais c’est aussi une belle contemplation de la maternité de Marie. Et ce qui nous intéresse ici, pour notre méditation, c’est le début: « Salut, o vrai corps, né de la Vierge Marie. »
Le corps c’est ce qui nous singularise. Il est à la fois notre lieu de liberté, puisque par lui nous sommes nous-mêmes et pas quelqu’un d’autre, et, en même temps, il nous pose une limite. Par notre corps nous faisons l’expérience de l’existant, il devient le médiateur entre nous et le monde, sans lui, nous serions des purs esprits. Par lui, nous pouvons exprimer ce que nous ressentons, nos joies comme nos peines. Or, Dieu est l’Omniprésent. Et par amour pour sa créature, il a voulu épouser notre humanité, quelque part, il s’est posé une limite. En tout, il était semblable à nous, sauf en ce qui concerne le péché. Et pour entrer dans l’histoire temporelle, pour venir dans le monde, il est né d’une femme, Marie.
Et Marie n’est pas un simple canal par lequel Dieu est passé pour rejoindre notre humanité. Elle n’est pas non plus un simple réceptacle. Mais elle a reçu la grâce de la maternité. Elle est la mère de Jésus. Jésus est né de la Vierge Marie. En tant qu’homme, il a été constitué dans ses entrailles.
Lorsque nous disons « o vrai corps, né de la Vierge Marie », il y a dans cette affirmation à la fois la divinité et l’humanité de Jésus. Ce vrai corps, qu’ici nous renvoie au corps eucharistique, ne peut exister que parce qu’il est le don infini d’un corps réel, physique. Et le corps physique de Jésus, toute son humanité, vient de Marie, sa mère.
Il est beau de voir que jusqu’au XIX siècle l’iconographie mariale représentait Marie avec une robe rouge. Couleur de la terre. Faisant référence à l’humanité, la chair. Comme pour nous rappeler que cette chair, qui désigne la condition périssable et faible de l’humanité, vient, alors, être anoblie par ce mystère d’un Dieu qui se fait homme. C’est cette chair que Jésus vient épouser et à qui il vient redonner sa note de noblesse. Ainsi, toute pure et tout immaculée qu’elle était, Marie ne pouvait pas simplement être un canal, mais elle devrait être véritablement mère ! L’affirmation « né de la Vierge Marie », nous renvoie, par le mystère de l’incarnation, Dieu qui se fait homme, à la divinité de Jésus. Elle est donc, comme nous le dira le concile d’Ephèse en 431, la mère de Dieu. La « théotokos », celle qui a engendré Dieu. Car c’est Marie qui donne « chair » à Dieu. Marie est le tabernacle du Seigneur. Elle a porté celui qui porte toute l’humanité. Celui par qui l’humanité reçoit la grâce de l’incorruptibilité.
Elle a donc porté Jésus en son sein. Elle a porté son corps à la descente de la Croix. Elle l’a contemplé au tombeau et, certainement, après la résurrection. Et elle le porte à chacun de nous. Elle peut donc, en ce temps où beaucoup parmi nous sont privés de la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie, nous aider à contempler ce mystère davantage comme un don, et moins comme un droit. Nous sommes, quelque part, comme elle, au pied de la Croix. Avec ce sentiment d’être privés de la vie. Mais avec elle nous sommes devant le tombeau vide, témoins de la résurrection. Et encore, avec Marie, nous sommes dans le cénacle. En attente ! Nous ne pouvons pas recevoir Jésus eucharistie mais nous pouvons le porter.
Reprenons alors « l’ ave verum corpus » et transformons-le en prière. Laissons-nous rejoindre par cette présence du Seigneur, à travers sa mère, Marie. Elle qui est la mère de Dieu et le tabernacle du Seigneur.
Ce « vrai corps, né de la Vierge Marie » prend chair encore aujourd’hui par le corps que nous formons. Et le corps que nous formons dépasse les frontières. Lui, en revanche, n’a pas de limite, car il est enraciné au fondement même de notre vie : Jésus. Celui qui nous a promis l’Esprit Saint.
* Le texte original en latin : Ave verum corpus natum de Maria Virgine : Vere passum, immolatum in cruce pro homine : Cuius latus perforatum unda fluxit et sanguine: Esto nobis praegustatum In mortis examine.
** Vous pouvez écouter l’Ave Verum Corpus, de Mozart, à travers le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=gDKCK_6WLTg